Impacts de la Covid-19 : Ambiance morose dans Bamako by night

À cause de mesures de prévention contre la propagation du coronavirus, beaucoup d’habitués ont déserté les lieux de loisirs. Conséquence : une chute de revenus pour les tenanciers de bars et de boites de nuit et même les filles de joie

Il est 23h00. Devant un maquis du quartier Banconi, en Commune I du District de Bamako. C’est un jeu de néons multicolores qui attire l’attention de notre équipe de reportage. à l’entrée, l’odeur de l’alcool. Dans une lumière tamisée, on devine les silhouettes d’amateurs de bière et autres types d’alcool regroupés autour de tables bien garnies. Dans le maquis, l’ambiance est soutenue par la bonne musique et les cris de joie «des maquisards». Beaucoup de filles, « travailleuses de nuit», installées en rangs dispersés, cigarettes entre les doigts. D’autres professionnelles du sexe savourent l’alcool ou esquissent des pas sur la piste de danse. Patiemment, elles attendent des clients plutôt rares en cette période de pandémie du coronavirus.

Nous nous sommes approchés d’une travailleuse de nuit nigériane, en mini jupe assortie d’un body jaune qui a voulu garder l’anonymat. Notre interlocutrice nous apprend qu’elle est une mère divorcée qui a laissé ses enfants au Nigeria pour venir «travailler» à Bamako. La dame confie que la Covid-19 a bouleversé le travail des péripatéticiennes. «Avant, je pouvais gagner 60.000 Fcfa par nuit. Mais maintenant, je gagne 10.000 Fcfa par nuit. C’est très difficile mais je m’en sors avec le loyer et la nourriture». « Mais mon revenu n’arrive pas à couvrir mon budget des cosmétiques et produits de beauté. De ce côté, ça ne va pas du tout. Avant, je pouvais dépenser, chaque jour, de grosses sommes pour mes cheveux, des sacs, des chaussures et autres accessoires. Maintenant, ce n’est plus possible et ça joue beaucoup, aussi, sur ma clientèle, parce que les hommes s’intéressent aux filles présentables », explique-t-elle.

Un client d’une cinquantaine d’années, divorcé et père de quatre enfants est assis à une table garnie de bouteilles de bière. Entouré de plusieurs filles, il dit, pourtant, avoir peur de se faire contaminer. Il finit par abandonner les lieux, car « les jeunes filles ne respectent pas les mesures barrières », se plaint notre interlocuteur qui dit être sorti, ce soir-là, parce qu’il est lassé de rester coincé entre les quatre murs de sa maison.
Nous sommes un samedi, à 22h00, à l’entrée d’une boîte de nuit. L’ambiance est tellement morose, les lieux vides, qu’on a la réponse à plusieurs de nos questions. Le contraste est saisissant. Avant les mesures anti-covid-19, les véhicules pouvaient stationner à perte de vue. Mais cette nuit-là, on pouvait les compter sur les doigts d’une main.


ÉTAT D’URGENCE- Le gérant de la boîte de nuit nous a expliqué que la rareté de la clientèle est due à l’état d’urgence sanitaire décrété par les autorités de Transition pour endiguer la progression de la Covid-19. Selon lui, c’est parce que les populations confondent l’état d’urgence et le couvre-feu. En effet, l’état d’urgence est une mesure de restriction des libertés publiques. Elle autorise les autorités compétentes à procéder à des fouilles et des perquisitions en cas de soupçons. Tandis que le couvre-feu est une interdiction de sortir d’une période à une autre (21h à 5 heures du matin, par exemple).

Une fille nous fait part de ce qu’elle endure depuis l’apparition de cette pandémie. Cette « travailleuse de nuit» malienne vivant à Bagadadji, en Commune III s’est lancée dans la « prostitution par amour des boissons alcoolisées», nous a-t-elle confié. «Malgré la Covid-19, nos clients nous côtoyaient, mais les mesures, comme l’état d’urgence, prises par les autorités de Transition ont fait que les clients sont rares pendant cette période de pandémie », se plaint-elle. « D’ailleurs, ajoute-t-elle, personne parmi les filles n’a été contaminée ».
Ivre, les yeux rouges et une cigarette en main, elle a été abordée par un client quand nous discutions. Notre interlocutrice a, tout de suite, interrompu notre entretien pour aller avec son client. Sa camarade, qui n’a pas voulu répondre à nos questions nous a même grossièrement insulté.


DES BOUTEILLES D’ALCOOL- Au quartier Sans-fil, vers 17h, une trentaine de jeunes, dans un bar, sont attablés autour de plusieurs bouteilles d’alcool, en compagnie de beaucoup de filles. « Je suis entrée dans cette vie, il y a trois ans, après une déception amoureuse. Quand on a fermé les lieux de loisirs, j’ai beaucoup souffert. J’avais des difficultés financières», a laissé entendre une des filles.
Elle se réjouit de la réouverture des maquis, même si elle ne gagne qu’entre 10.000 et 15.000 Fcfa contre 40.000 Fcfa, en une nuit, avant l’apparition de la Covid-19. En dépit de cette chute de revenu, due principalement à la perte de nombreux clients fidèles, du fait de la pandémie de la Covid-19, notre interlocutrice dit : «Maintenant, je suis très heureuse même si je gagne peu. Je m’en réjouis», dit-elle. Au contact de ces jeunes filles sur leurs lieux de travail, nous avons pu constater combien le coronavirus a impacté leurs activités et bousculé leur vie. Elles soutiennent, qu’avec la fermeture des lieux de loisirs, elles ont perdu presque tous leurs clients. Ceux-ci, par peur d’être contaminés et par prudence, viennent dans les maisons closes, en compagnie de leurs copines.

Si beaucoup d’hommes ne peuvent pas rejoindre les filles de nuit, à cause des mesures de prévention prises par le gouvernement, dès fois, il y en a qui se cachent pour aller chez les travailleuses de nuit.
Les propriétaires de bar déplorent les mesures sanitaires du gouvernement, car les établissements de loisirs n’ont pas reçu de kits sanitaires pour protéger leur clientèle. « En outre, les restrictions sanitaires ont été prises sans mesures d’accompagnement pour les établissements de loisirs », disent-ils.

Un gérant de bar a vite fait l’arithmétique pour évaluer ses pertes : «Avant, nous pouvions gagner 300.000 à 400.000 Fcfa par nuit. Aujourd’hui, notre recette oscille entre 80.000 et 100.000 Fcfa par nuit», dit-il. «On paye la location, les employés, les taxes. On pensait avoir une réduction des taxes de la part de l’état mais rien. On se débrouille avec nos économies et si la situation continue, on sera obligé de diminuer le salaire de nos employés ou de demander au propriétaire de réduire le loyer. Autrement, on pourrait fermer», dit notre interlocuteur qui, dans son désespoir, accuse le gouvernement de manque de «considération» à l’égard de sa corporation.

Rokiatou TRAORÉ

Source L'Essor