Le directeur du Centre de traitement des données de l’état civil (Ctdec) se prononce sur l’opération spéciale d’enrôlement et de retrait des fiches descriptives individuelles à Bamako lancée il y a quelques semaines par le ministre en charge de l’Administration territoriale. Aussi, il évoque le rôle de sa structure dans l’organisation d’élections crédibles et transparentes, une des priorités des autorités de la Transition
L’Essor : Le 1er décembre dernier, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation a lancé une opération spéciale d’enrôlement et de retrait des fiches descriptives individuelles à Bamako. Quel est l’objectif de cette opération qui prend fin le 31 décembre prochain ?
Sibiri Philippe Berthé : En 2009, nous avons pris les données alphanumériques des personnes qui n’avaient pas l’âge pour que leurs empreintes digitales et leurs photos soient collectées. Ces personnes ont maintenant l’âge d’être dans le fichier électoral. Il devenait donc urgent de prendre en charge ces personnes en recueillant leurs données biométriques.
Il s’agit aussi d’enregistrer dans la base de données de l’état civil les personnes non recensées lors des précédentes opérations d’enrôlement et de permettre aux nouveaux bacheliers d’accéder facilement à leur fiche descriptive individuelle. Tels sont, entre autres, les objectifs de cette opération spéciale, qui vise à améliorer l’exhaustivité et la complétude du fichier électoral.
L’Essor : À ce jour, quelles sont les résultats ?
Sibiri Philippe Berthé : L’opération rencontre beaucoup de succès auprès des jeunes majeurs dont les données biométriques (empreintes digitales et photos) doivent être mises à jour dans la base de données du Recensement Administratif à vocation d’état civil (Ravec). Les statistiques de l’opération spéciale à la date du 18 décembre 2020 sont les suivantes : 3.978 personnes recensées dans les terminaux de recensement ; 3.260 données biométriques mises à jour dans la base de données Ravec ; 346 réclamations sur les données alphanumériques en erreur et 1.557 fiches descriptives individuelles distribuées.
L’Essor : Cette opération concerne-t-elle l’ensemble du pays et la diaspora ?
Sibiri Philippe Berthé : L’opération spéciale d’enrôlement, comme le ministre de l’administration territoriale et de la Décentralisation l’a si bien dit lors de sa visite en Communes III et I du District de Bamako, est appelée à s’étendre à l’intérieur du pays et dans les missions diplomatiques et consulaires.
L’Essor : L’une des missions de votre département de tutelle pendant cette Transition est l’organisation d’élections crédibles et transparentes. En quoi le CTDEC peut aider à relever ce défi ?
Sibiri Philippe Berthé : L’organisation d’élections transparentes et crédibles passe par un fichier électoral exhaustif où le principe «un électeur, une voix » est assuré. Le fichier électoral est intimément lié au fichier Ravec, car pour être inscrit sur une liste électorale, il faut être enregistré dans la base de données biométriques de l’état civil avec la photo et les empreintes digitales. Notre rôle est de contribuer à l’exhaustivité et à la complétude du fichier électoral par l’organisation des opérations de recensement et de mise à jour des données biométriques des nouveaux majeurs.
L’Essor : Dans la diaspora, des voix s’élèvent pour demander l’annulation du Numéro d’identification nationale (Nina) dans la recherche du passeport à cause de la lenteur dans le traitement des fiches descriptives individuelles. Quelle réponse avez-vous à donner ?
Sibiri Philippe Berthé : Il n’y a jamais eu lenteur dans la production de la fiche descriptive individuelle. Nous n’utilisons même pas les 20% de notre capacité technique. Il y a plusieurs paramètres à prendre en considération pour la compréhension de ce problème.
Je vous rappelle que face aux faiblesses du système d’état civil, le Mali a initié le Ravec afin de constituer une base de données des personnes physiques identifiées par un identifiant unique le Nina. La loi n° 06-040 du 11 août 2006 portant institution du Nina des personnes physiques et morales stipule que le Nina soit inscrit sur la carte nationale d’identité, la carte d’identité consulaire, le passeport, le permis de conduire, le carnet scolaire, le carnet médical, la carte d’électeur, la carte de séjour pour les étrangers, les documents des personnes morales et les actes d’état civil. Elle jette les bases de l’interopérabilité entre les différentes bases de l’administration malienne pour faciliter les démarches administratives sur présentation du Nina pas de la carte.
Les objectifs de la constitution de cette base de données sont notamment la sécurisation de l’identité du citoyen en luttant contre les fraudes à l’identité (double identité, usurpation d’identité) et documentaires.
Ce qui implique, qu’une personne dont l’identité est fixée dans la base de données du Ravec lors de la collecte de ses données biométriques, biographiques et de ses pièces justificatives d’identité pendant les différentes opérations du recensement ne peut être réenregistrée en changeant certains attributs de son identité. C’est la raison d’être du système de déduplication du Ravec.
Maintenant qu’est-ce qui se passe ? Les gens oublient que leur identité est déjà fixée dans la base de données du Ravec par les données d’identité et les justificatifs collectés lors des différentes opérations du recensement. Dès lors, l’identité est fixe et elle demeure à vie au registre national des identités. En oubliant cette situation ou pour d’autres raisons inavouées, les personnes se présentent aux agents d’enrôlement avec d’autres documents pour s’enrôler et demander la fiche descriptive individuelle à travers ces documents. Quand ces données et demandes arrivent au CTDEC, ils sont traités automatiquement par des algorithmes tournant sur le système d’identification. Après traitement, ces données sont étiquetées comme doublons et sont éjectées du système sans Nina. Les informations du premier enrôlement sont remises au demandeur qui ne concordent pas avec l’identité souhaitée. Une personne ne peut pas se prévaloir d’un acte d’état civil non conforme aux dispositions du code des personnes et de la famille.
Le changement d’identité constitue le second aspect du problème. Lors de son enrôlement, le citoyen présente une pièce d’identité ou se fait enrôler par témoignage. Les références de la pièce présentée ou du témoin sont enregistrées. La réclamation n’est permise que si les informations sur les pièces fournies sont collectées avec des erreurs et ne soulève pas des questionnements sur l’état de la personne. Je précise ici qu’une correction est différente d’un changement d’identité. Pour la prise en charge d’une réclamation, le citoyen se présente avec l’acte de naissance authentique ou la pièce présentée lors du recensement dans les centres principaux et secondaires d’état civil ou dans les missions diplomatiques et consulaires où il remplit une fiche de réclamation. Le processus de réclamation est régi par les dispositions du code des personnes et de la famille, du décret n° 06-442/P-RM modifié du 18 octobre 2006 fixant les modalités d’application de la loi portant institution du numéro d’identification nationale des personnes physiques et morales et de l’instruction 2015-1323/MATD-SG relative au dispositif de pérennisation des acquis du Ravec.
Le troisième aspect du problème constitue la fraude documentaire. Les gens sont habitués à envoyer de l’argent au Mali pour l’établissement de leurs documents. Les personnes à qui ils envoient leur argent font des fiches descriptives individuelles falsifiées avec des faux Nina. Or, à l’établissement du passeport, les éléments de sécurisation de la fiche sont comparés avec les données biométriques et biographiques du requérant à travers une interrogation de la base de données Ravec. Cette comparaison sera nécessairement infructueuse puisque les données d’identité et de la fiche ne seront pas conformes. Ce qui constitue la cause de rejet de la plupart des demandes de passeport. Je tiens à faire savoir que la fiche descriptive individuelle est gratuite et peut être retirée sans frais dans les cellules techniques d’accueil citoyen des six communes du District de Bamako, auprès du deuxième adjoint des Cercles de Kayes, Koulikoro, Kati, Sikasso, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao, Taoudénit, Ménaka, Koutiala, Bougouni, Nioro du Sahel, Dioïla, Kita, Nara, San et dans les missions diplomatiques et consulaires.
Pour améliorer l’accessibilité aux services d’identification, le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga a instruit la mise en place d’une plateforme ‘e-services’ qui permettra aux citoyens de faire leur demande de fiche, de réclamation, de renouvellement de carte Nina en ligne et de suivre leur traitement. Les documents traités sont ensuite envoyés en ligne aux citoyens pour impression.
Cette innovation permettra aux Maliens de l’intérieur et de l’extérieur d’accéder à leurs documents d’identification sans se déplacer dans les cellules techniques d’accueil citoyen.
L’Essor : Certains de nos compatriotes pensent à tort ou à raison que les données personnelles des Maliens sont manipulées par des pays étrangers. Qu’en est-il réellement ?
Sibiri Philippe Berthé : L’ensemble du système Ravec est administré par les techniciens maliens qui sont soumis du fait de la sensibilité des données traitées aux dispositions légales sur la protection des données à caractère personnel, sur la loi sur la cybercriminalité et les prescriptions du code pénal.
L’Essor : Quels conseils avez-vous à l’endroit des personnes qui refusent à se faire enrôler au Ravec ?
Sibiri Philippe Berthé : L’identité est au cœur des interactions entre les citoyens et, par analogie, l’identité numérique se situe au cœur des interactions entre le citoyen d’une part, et la machine ou les systèmes d’information d’autre part. Elle permet aux citoyens d’accéder plus facilement à leurs droits notamment celui d’avoir une identité légale.
Pour pouvoir jouir pleinement de leur droit à une identité légale et fiable à travers l’attribution du Nina garantissant l’unicité, j’invite tous les Maliens de l’intérieur et de l’extérieur à s’enrôler ou à renouveler leurs biométries dans les centres de pérennisation du Ravec placés dans les centres principaux et secondaires d’état civil et dans les missions diplomatiques et consulaires. L’usage systématique du Nina dans tous les registres va pouvoir mettre en relation l’ensemble des systèmes d’information du Mali. Ainsi, il sera plus aisé de faire communiquer plusieurs systèmes d’information en utilisant comme référentiel commun le Nina.
Toutes ces mesures auront pour finalité d’améliorer l’accessibilité du citoyen aux services d’état civil ; de moderniser les services et dématérialiser les procédures papier grâce à la notion de l’identité numérique et faire baisser les dépenses de fonctionnement des administrations ; de rapprocher le citoyen de l’administration par le développement d’applications informatiques et de limiter le vol ou l’usurpation d’identité.
Propos recueillis par
Bembablin DOUMBIA