Le Sénat français a organisé hier un débat sur « l’Opération Barkhane : bilan et perspectives ». Plusieurs élus se sont montrés plutôt favorables au maintien du dispositif antiterroriste français au Sahel
La présence des forces armées françaises au Sahel est un sujet que regarde de près la Haute assemblée. En effet, si cette action militaire a remporté d’importants succès, elle est aussi une charge très importante pour l’État français. Le Sénat a donc jugé qu’il était indispensable d’organiser un débat permettant la confrontation des points de vue dans ce dossier, et la discussion des options permettant d’envisager une sortie progressive de la crise de cette région. Lors des débats, plusieurs élus se sont montrés plutôt favorables au maintien du dispositif antiterroriste français au Sahel, qui a mis en échec le projet funeste de création d’une Kalifa et permet aujourd’hui aux armées locales de prendre le dessus sur les terroristes.
«Ce n’est pas au moment ou le bilan de l’opération Barkhane s’améliore qu’il faut baisser la garde», a déclaré le sénateur Joël Guerriau du Groupe des indépendants (INDEP), tout en précisant que le retrait ne devrait être envisagé que lorsque Paris aura réussi à mobiliser le maximum de contingents européens pour combler le vide. «Le retrait n’est pas une option, parce qu’il ruinera tous nos efforts. Certes Takuba est une avancée, mais elle est insuffisante», a renchéri Bruno Retailleau du Groupe les républicains.
Des sénateurs ont estimé que les récents succès militaires ne devraient pas faire perdre de vue la forte capacité de régénération des groupes armés terroristes. Aujourd’hui encore, a embrayé Olivier Cigolotti de l’Union centriste, «force est de reconnaître que la guerre est loin d’être gagnée». La situation impose, selon lui, un renforcement de la coopération européenne, qui ne peut se limiter à l’EUTM. Aussi a-t-il jugé «insuffisant» le dispositif G5 Sahel, qui devrait s’élargir aux pays côtiers.
Les résultats mis en avant pour convaincre de l’utilité du dispositif Barkhane, semblent à la limite insignifiants pour le sénateur Guillaume Gontard du Groupe GEST (écologiste, solidarité et territoire) qui a déclaré que le «bilan laisse perplexe, huit ans après l’engagement de la France».
Le coût s’est amélioré au fil des ans, mais pour quel résultat ?, s’est interrogé l’élu. Pour lui, la neutralisation d’individus de haut rang ne fera pas disparaître le terrorisme. Et surtout, la solution militaire ne remplacera jamais la solution politique. Raison pour laquelle, a-t-il plaidé, il faut donner une nouvelle impulsion à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali.
En somme, la majorité des sénateurs reconnaissent l’importance de la présence de Barkhane au Sahel. Selon eux, il s’agit donc de persévérer, en faisant adhérer le maximum de partenaires européens à la cause sahélienne et en aidant les forces locales à poursuivre leur montée en puissance. Le tout chapeauté par de véritables actions de développement. Ainsi, tout en saluant le professionnalisme des soldats français, plusieurs intervenants ont évoqué les volets politique, diplomatique et de développement de la stratégie déployée au Sahel.
SURSAUT DIPLOMATIQUE- À cet égard, ils sont en phase avec Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Ainsi, a annoncé le chef de la diplomatie française, «le sommet de Pau a été le sommet du sursaut militaire et celui de N’Djamena, sera le sommet du sursaut diplomatique, politique et de développement». Concernant singulièrement notre pays, le sursaut politique espéré devra se concrétiser à travers la mise en œuvre effective de l’Accord pour la paix et la réconciliation. «Maintenant, il faut passer aux actes», a déclaré Jean-Yves Le Drian, pour qui cet «appel vaut pour tous les acteurs ». Il a indiqué que la réunion annoncée du comité de suivi de l’Accord à Kidal est un signal positif.
Globalement, le ministre Le Drian a soutenu que les lignes ont considérablement bougé au Sahel. Et depuis le sommet de Pau, d’énormes progrès ont été faits dans le cadre de la «Coalition pour le Sahel».
Pour lui, non seulement la lutte contre le terrorisme au Sahel a pris une dimension internationale (plus de 45 pays impliqués), mais aussi les différents appuis aux États du Sahel ont permis des progrès dans les domaines de la sécurité intérieure et du renforcement de la chaîne pénale. Il a aussi insisté sur le redéploiement de l’administration dans les zones libérées au Mali et la mise en place de projets d’urgence, notamment la création d’infrastructures scolaires et sanitaires.
Abondant dans le même sens, Florence Parly, ministre des Armées, est revenue sur les succès opérationnels dans la zone dite des trois frontières. «L’EIGS a été fortement entravé», s’est-elle réjouie, tout en faisant remarquer que les forces locales n’ont, depuis Pau, subi aucune attaque d’ampleur. Autre motif de satisfaction pour elle : la montée en puissance des armées locales qui sont désormais capables de résister et de répliquer.
«Notre présence n’est pas éternelle», a martelé à plusieurs reprises Florence Parly devant les sénateurs. Et c’est en cela qu’il importe de mobiliser les partenaires européens pour prêter main force à Paris.
Issa DEMBÉLÉ