Une barrique d’eau rapporte entre 500 et 1.000 Fcfa
Les propriétaires des maisons en construction comptent sur ces femmes pour se ravitailler en ce précieux liquide. L’activité est lucrative mais pénible
Le soleil accable déjà en cette matinée de jeudi. Quatre dames dont deux portant des enfants au dos, mettent le cap sur un chantier. Arrivées à destination, elles se dirigent vers le côté sud de la parcelle en construction. Là, il y a un puits à l’angle. Quatre barriques vides les attendent pour être remplies. Elles se passent la puisette qu’elles lancent et tirent avec dextérité. Les récipients sont remplis au bout de quelques instants.
Non loin de là, des maçons se reposent, certains couchés à même le sol. «C’est le quotidien de ces braves femmes. Elles sont d’une grande aide pour nous. Sans elles, nous ne savons quoi faire. La zone n’est pas encore desservie par la Société malienne de gestion de l’eau potable (Somagep). S’il faut aller chercher de l’eau à des kilomètres, cela ne nous encouragera pas dans la construction», explique Oumar Togola, le propriétaire des lieux.
Son maçon, Issa Traoré, confirme l’apport inestimable de ces femmes sur les chantiers qui poussent dans les environs de la capitale malienne. «Il y en a qui vont jusqu’à proposer d’arroser les briques», précise le maçon.
Dans la périphérie de Bamako, de nouveaux quartiers continuent de pousser. Ces zones périphériques en construction ne sont généralement raccordées à aucun système d’adduction d’eau. L’eau nécessaire à la confection des briques et à la construction des maisons est donc un problème. Ce manque est généralement comblé par de nombreuses femmes qui ravitaillent les chantiers, en puisant l’eau des puits.
Ainsi, elles utilisent des puits creusés par les propriétaires des logis ou dans des concessions voisines. Elles transportent en portant sur la tête les bassines géantes remplies d’eau. à la fin de la journée, elles récoltent une somme d’argent qui varie selon le nombre de tonneaux qu’elles auront remplis. Une barrique d’eau rapporte entre 500 et 1.000 Fcfa selon les zones et la distance à parcourir.
L’une d’elle, Korotoumou Berthé, habite Missala, dans la zone dite «des sapeurs-pompiers», située entre Gouana, Banankoro et Kouralé. Cet endroit relève de la Commune rurale de Kalaban-coro. Il est en pleine construction depuis quelques années. Les maisons y poussent tels des champignons.
La principale activité génératrice de revenu pour Korotoumou, comme pour des dizaines de femmes de la localité, consiste à puiser de l’eau, la porter sur la tête pour ravitailler les chantiers. Elle fait cette activité souvent seule ou dans un groupe. «Nous scellons un contrat journalier avec les propriétaires de chantiers. Le matin, nous remplissons trois à quatre barriques avant l’arrivée des maçons sur le chantier. Ils débutent les travaux. Quand l’eau à disposition finit, ils nous font appel. Nous remplissons à nouveau les récipients. Nous faisons cet aller-retour jusqu’à la fin de la journée. Nous répétons les mêmes gestes tous les jours jusqu’à la fin du chantier», explique-t-elle.
Pour cette mère de famille, c’est une façon noble d’avoir de l’argent pour subvenir aux petites dépenses quotidiennes de la famille. «Je suis couturière. Ce travail ne marche pas ici pour l’instant. Le quartier n’est pas entièrement habité. Pour éviter l’oisiveté, j’ai opté pour cette activité», indique celle qui mène cette activité depuis 18 mois.
Selon elle, en groupe de cinq, elles remplissent souvent 20 barriques par jours. «Nous avons le marché de temps à autre. Quand ça commence, il n’y a point de répit. C’est dur comme travail. Chaque jour que tu le fais, tu as les mains endolories. Dès fois, tu ne dors pas la nuit. Tu es obligée de t’enduire les mains de beurre de karité», confie Korotoumou.
Nana Sanogo mène la même activité. Pour elle, l’autonomisation financière de la femme est un must. «J’ai commencé depuis six ans lorsque j’étais à Gouana. Quand j’ai aménagé ce quartier, j’ai continué à le faire. J’ai des clients fidèles. à chaque fois qu’ils commencent leur construction, ils me font appel. S’ils ont un puits dans la concession, je fais le travail seule. Le cas échéant, je me fais épauler par trois autres dames», explique-t-elle.
Ce travail permet à ces femmes de joindre les deux bouts, mais pas sans anicroches. «Le jour où tu remplis plusieurs barriques, tu as des difficultés à marcher. Tout le corps te fait mal», insiste Nana, précisant que les puits tarissent pendant la saison sèche. «Quand un puits tarit, nous partons pour un autre. Plus la distante est longue plus le travail est contraignant. Quand tu demandes aux clients d’augmenter le prix de la barrique, ils sont mécontents. Nous avons besoin d’argent, nous ne pouvons qu’accepter la même somme», déplore Nana.
La tristesse est généralement de courte durée. Car la rémunération est payée à la fin de la journée, témoignent plusieurs interlocutrices. «Tu es payé selon le nombre de barriques. Souvent, on te paie un acompte. Le travail une fois fini, on te règle le montant restant», explique Aïssata Diallo. Cette vendeuse de produits cosmétiques est de plus en plus attirée par cette activité. «Nous avons un groupe. Chacune démarche des propriétaires de chantiers. Si l’une trouve un marché, elle appelle les autres et nous l’exécutons ensemble. Nous remplissons souvent 60 barriques par jour», relève-t-elle.
Ce travail pénible n’est pas sans conséquence sur la santé. Fanta Traoré ne dira pas le contraire. Elle s’était entièrement dédiée à cette activité. Elle prend du recul ces derniers temps à cause de maux de poitrine récurrents. Fanta raconte comment elle est tombée malade. «Nous avons ravitaillé en eau le chantier d’une maison à étages. Un jour, nous avons rempli 111 barriques d’eau puisées à la main. Le lendemain, on peinait à toucher la corde de la puisette. Depuis, j’ai constamment mal à la poitrine», se souvient-elle.
Fanta pense que si la quarantaine de femmes qui s’adonne à cette activité s’organisait en coopérative, elles pourraient gagner plus. Par exemple, si les vendeuses d’eau disposaient d’un forage, de bidons de 20 litres et de pousse-pousse, le travail serait moins pénible et plus rentable.
Aminata Dindi SISSOKO
Source L'Essor