Beaucoup endurent les coups et les injures, encouragées par la tradition à rester stoïques, afin de récolter les dividendes de la patience quand les enfants grandiront. De plus en plus, il y en a qui osent se confier aux associations de défense des femmes. La célébration de la Journée internationale de la femme, dans deux semaines, est une opportunité pour mettre en lumière ces malheurs qui se déroulent très souvent à huis clos dans les demeures
«Si je ne retrouve pas mes 500 francs, je te tue. Nous ne sommes que deux dans la chambre et c’est toi qui as pris cet argent !». Pour la énième fois, Yacou Tangara vient de menacer de mort son épouse Rokia. La scène se passe à Sébénicoro et les colocataires restent sourds aux éclats de voix, puis à la bagarre qui s’en est suivie. Tangara est passé des injures à l’agression physique contre celle qui endure au quotidien ses excès de colère. Badri, leur enfant unique, un garçon âgé seulement de cinq ans, ne pleure plus à la vue des violences faites à sa mère.
Au fil du temps, la femme a appris à se défendre. Rokia est sortie indemne de cette dernière bagarre parce que son mari vient, à peine, de se relever d’une maladie de plusieurs semaines. Pendant cette période, elle a passé des nuits blanches à veiller sur lui. Elle a même emprunté de l’argent pour payer ses ordonnances et les frais de location de leur demeure.
«Un jour, elle est venue me supplier de la conduire, avec son mari, chez un guérisseur traditionnel. Pour arriver là-bas, il fallait quitter à 5 heures du matin. J’ai accepté parce que je connais l’histoire de Rokia», témoigne un voisin. Apparemment, notre interlocuteur a une dent contre Yacou qui est chauffeur de poids lourd et qui s’absente de la maison parfois longuement. «Parfois quand il voyage, sa famille n’a rien à manger. Mais dès qu’il est de retour, il se remet à frapper sa femme pour un rien. Si son portable sonne, il la frappe en l’accusant de recevoir des messages de ses amants et de le tromper en son absence», s’indigne un voisin.
COMME SON PÈRE- Le comportement irresponsable de Yacou influe négativement sur son fils. Ce dernier se montre très violent à l’égard de ses camarades d’âge, au point que dans le voisinage très peu de parents laissent leurs enfants jouer avec lui. Tous se méfient de Badri qui a deux manières de s’en prendre aux enfants : soit il tente de les étrangler, soit il leur lance tout ce qui lui tombe sous la main. En fait, le garçon imite exactement son géniteur. Il n’épargne pas sa mère qu’il bombarde d’objets divers quand elle lui fait des remarques déplaisantes. « Le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre. Je ne sais que faire de lui. Il va jusqu’à injurier mes parents. Il fait exactement comme son père», soupire Rokia à chaque fois, que ses voisins se plaignent de l’enfant. Malgré tout ce qu’elle endure, la jeune femme d’une trentaine d’années n’a jamais envisagé d’aller se plaindre à la police. «Je ne le ferai pas. C’est mon mari.
Le jour où j’en aurai marre, je m’en irai», lance-t-elle. Quand Yacou n’est pas en voyage, un groupe de chauffeurs et d’apprentis viennent régulièrement chez lui à la maison. C’est là que son fils apprend les grossièretés. Rokia a finalement décidé de se battre pour sortir son foyer de la spirale de la violence. «J’ai connu mon mari il y a huit ans, et il n’était pas l’homme qu’il est devenu. Il n’était pas violent. Son nouveau comportement découle des difficultés financière et sanitaire qu’il endure», explique-t-elle. «La patience est une qualité, mais elle court beaucoup de dangers et subit trop d’humiliations en restant près de ce mari», déplore sa voisine, Awa.
Toutefois, Rokia ne se voile pas la face. Il y a 3 mois, elle a commencé à vendre du charbon de bois. « Les choses vont un peu mieux parce que je constate une diminution des penchants violents de mon mari», confesse-t-elle. Même si elle garde toujours en mémoire certains épisodes désagréables de sa vie. «Un jour, mon mari m’a traitée de pétasse parce qu’un numéro inconnu m’avait appelée. Il m’accusait de le tromper parce qu’il était malade, qu’il ne pouvait pas travailler et ne gagnait plus d’argent», confie-t-elle. Mais Rokia ne désespère pas. Aujourd’hui, en dehors du commerce de charbon, elle mène d’autres activités. Son cadre de vie s’améliore et le mari devient moins violent.
LE PRIX DE LA BARAKA- Chaque début de semaine, l’Association pour le progrès et la défense des femmes maliennes (APDF) reçoit les victimes des VBG. Ce 17 janvier 2021, elles sont cinq à attendre la présidente de l’Association. Kandia, une charmante dame au teint noir, affirme que les VBG font partie de son quotidien depuis plus d’une décennie. Les injures hurlées à son endroit et envers ses parents, les coups de poing n’étonnent plus le voisinage. «Mes enfants ont grandi dans cette atmosphère. Maintenant, c’est le tout dernier qui s’interpose entre nous, quand mon mari commence», regrette celle qui ne va plus chez ses parents pour se plaindre, car sa famille paternelle, très conservatrice, tient au respect de certaines coutumes et prône l’omerta sur les phénomènes négatifs au sein du ménage. «Supporte avec dignité les caprices de ton conjoint, c’est le prix à payer pour la baraka, la force qui fera que tes enfants réussissent », conseille la mère de la dame.
Kandia, âgée de 34 ans, affirme que son mari a épousé cinq autres femmes qui ont toutes fini par divorcer. Sa belle-famille lui en veut pour cela, estimant qu’elle a envouté son mari. «C’est le caractère de l’homme qui fait fuir les femmes», proteste-t-elle. Après 18 ans de mariage, Kandia se souvient qu’au début de leur vie commune, tout allait bien. «Aujourd’hui, mon mari a construit une maison à étage et se croit riche. Mais je ne profite guère de l’opulence dont il se vante. Il découche selon ses humeurs, rentre à la maison quand il veut et gare à moi si je lui demande des comptes», dit-elle. Kandia n’est pas venue se plaindre à l’APDF, mais elle a accompagné son amie, Malado qui a perdu récemment son mari et qui est sur le point d’être expulsée de son domicile par les enfants du défunt.
Malado est la deuxième épouse. Son mari lui a demandé la main après le décès de sa première femme. Du vivant de son mari, il n’y avait pourtant pas de problèmes entre elle et ses beaux-enfants. Au contraire, elle a même allaité le benjamin. «Une semaine après l’enterrement de mon mari, ses enfants et son employeur m’ont dit que je devais quitter les lieux, car la maison appartient à l’employeur. Je leur ai répondu que c’était impossible et que tous les papiers de la maison sont au nom de mon défunt époux», raconte-t-elle. Cette réponse a provoqué leur colère, suivie de menaces incessantes et d’injures. Malado n’a qu’un souhait : qu’on la laisse porter le deuil de son conjoint. Le fils aîné a juré de la «mettre dehors sans un sou». Complètement déstabilisée, la jeune femme de trente ans, mère d’un enfant de trois ans, regrette : « Je ne sais rien faire, sinon j’aurais signé forfait et abandonné la maison. Je souffre, Je ne sais quoi faire ? ». Orpheline, Malado n’a qu’une jeune sœur mariée et qui « se débrouille ». Ayant reçu une convocation au tribunal de sa commune de résidence, elle n’a trouvé une autre issue que de s’adresser à l’APDF.
Aux environs de midi encore, la présidente de l’APDF, Mme Diawara Bintou Coulibaly, n’était pas arrivée. Fatou, de son côté, raconte ses malheurs. La trentenaire a pris soin de cacher son visage avec un foulard pour qu’on ne la reconnaisse pas. Elle ne souhaite pas être vue dans cette situation. Cela fait un an que son mari a pris une seconde épouse, avant de lui tourner le dos. Fatou ne s’en offusquait pas trop puisque le couple est en instance de divorce. Le mari lui rend visite ces derniers temps, mais pour proférer des menaces et des insultes. Il a fini par la battre. Les raisons ? «Il veut me mettre dehors pour installer sa nouvelle épouse dans ma maison. Comme je résiste, cela le rend fou. Mais je veux que cesse cette violence», explique-t-elle. Pour elle, ce qui la lie encore à son époux, c’est sa dépendance matérielle. «Ce qui me fatigue aujourd’hui, c’est le fait que je ne suis pas autonome, sinon je serais partie, il y a longtemps».
UNE VÉRITÉ INCONTESTABLE. En effet, il est de coutume dans notre société que la femme maltraitée accepte de se soumettre. Elle le fait avant tout, pour avoir la baraka pour ses enfants. La tradition lui enseigne d’être patiente, endurante et tolérante. Elle lui recommande d’honorer non seulement son époux, mais aussi la famille de celui-ci. Craignant d’être stigmatisée, elle supporte tout. Certains agents de l’APDF nous ont confié que sur certaines victimes les sévices subis laissent des traces abominables. De nombreuses femmes ont péri sous les coups de leurs conjoints comme le cas de la malheureuse Fanta Fofana qui a trouvé la mort après avoir été abattue par son mari dans une résidence officielle.
LES ACTIONS DE L’APDF- Les facteurs qui favorisent les VBG sont la drogue, l’alcool, les excitants, la jalousie, la pauvreté et la dépendance de la femme de son époux. Pour pallier l’injustice sociale et maintenir l’équilibre du foyer, l’APDF a formé au cours de l’année 2020, 1.933 femmes et filles dans le District de Bamako et les Régions Ségou et Mopti en teinture, coiffure, coupe et couture, transformation de produits agricoles, fabrication de henné. L’APDF apporte également plusieurs formes de soutien aux victimes de VBG. Elle héberge certaines d’entre elles jusqu’à ce que leurs problèmes soient réglés. Elle commet des avocats pour les cas les plus compliqués et qui sont portés devant les tribunaux. Mais avant d’en arriver là, l’association privilégie l’écoute, la tentative de réconciliation. En faisant intervenir des imams, chefs coutumiers et griots entre les deux parties.
Contrairement à ce que décrit la croyance populaire, il n’y a pas que les femmes qui sont violentées, certains hommes aussi font les frais de l’humeur belliqueuse de leurs épouses. Fatoumata Siré Diakité Junior estime que le phénomène n’est pas fondamentalement surprenant. Selon elle, la pauvreté et la dépendance financière constituent des déclencheurs majeurs de la VBG dans le foyer. Quand un homme ou une femme supporte seul la charge du foyer, il devient facilement irritable et surtout capable des excès les plus graves. Ces excès ont été particulièrement nombreux en 2020, année qui a été marquée par le début de la pandémie à coronavirus. L’APDF en a enregistré près de 500 cas. « Du jamais vu pour nous en 30 ans d’activités», confesse sa présidente. Pour Mme Diawara Bintou Coulibaly, le combat contre la VBG est lié à celui pour les droits des femmes. Le Mali a ratifié plusieurs conventions en la matière. Mais nos lois nationales n’ont pas été harmonisées avec les engagements pris auprès de la communauté internationale. En attendant que cela se fasse, aucune initiative n’est négligée pour faire reculer les VBG, affirme-t-elle.
DROIT DES ENFANTS- Récemment, WILDAF a fait un plaidoyer sur le droit des femmes en matière d’héritage à travers un film documentaire de 70 minutes. L’objectif de cette projection est de faire entendre la parole des femmes spoliées de leur droit d’héritage des biens de leurs maris. «Il faut que le grand public mesure l’étendue de la détresse dans laquelle se trouve cette couche très vulnérable dans notre société », laisse entendre Mme Dicko Boyé Diallo, la représentante de WILDAF qui précise que, de janvier 2019 à novembre 2020, sa structure a enregistré 147 cas d’agressions d’ordre psycho-émotionnel perpétrés sur les femmes.
Mme Beatrice Eyong, représentante de l’ONU Femmes au Mali, classe parmi les défis prioritaires à relever l’autonomisation des femmes. «Un homme qui gagne bien sa vie peut penser tout d’abord à son confort personnel et multiplier les conquêtes féminines. Alors qu’une femme se soucie avant tout de mettre son foyer à l’abri du besoin», souligne-t-elle. Mais le contexte socioéconomique créé par la Covid-19 est préoccupant. En 2021, 800.000 Maliennes vont entrer dans la pauvreté du fait de la pandémie. Une étude de l’ONU pousse d’ailleurs un vrai cri d’alarme. Dans le monde entier, les femmes actives qui ont perdu leur capacité économique ne pourront pas se relever d’elles-mêmes. Or, au moins 17% d’entre elles supportent une charge familiale. Plus tragique encore, les veuves se débrouillant avec un petit commerce représentent 66,6% de ce contingent.
Le combat contre les VBG a encore du chemin à faire, mais l’on garde l’espoir de pouvoir construire un jour une société qui permet aux femmes et aux filles d’être autonomes et de vivre à l’abri de la violence.
Maïmouna SOW
Source L'Essor