Amadou Sanogo: L’artiste qui revivifie les traditions par la peinture

Le public a découvert ou a redécouvert cet artiste-peintre atypique à l’occasion de «Ségou’Art 2021» (format créatif du Festival sur le Niger) que la Cité des Balanzans a abrité du 4 au 7 février 2021. A cette occasion, en partenariat avec BamakoArtGallery (BAG), le jeune talent était au cœur d’une exposition exceptionnelle avec l’illustre Cheick Diallo, le père du design malien. Les deux artistes ont travaillé de concert sur une même œuvre. Une première dans l'histoire de la BAG. Une collaboration qui a confirmé Amadou Sanogo comme « l'un des artistes peintres maliens les plus influents » dans le monde.

Questionner la société, l'humanité ! C’est la philosophie qui se dégage des œuvres d’Amadou Sanogo. Des œuvres teintées de l'impact de la technique traditionnelle du bogolan qui influence sa démarche artistique. Diplômé des arts plastiques de l’Institut national des arts (INA) de Bamako en 2003, Amadou s’est fait une place au soleil à travers les ateliers de formation. Une expérience qui, reconnaît-il, lui a permis de « rencontrer le monde » chez-lui avant de sortir pour aller vers le reste du monde.
Comme artiste, son inspiration se nourrit beaucoup de son éducation communautaire. « Ma base de réflexion est surtout axée sur les questionnements sur l’homme au sein de la société et son devoir envers celle-ci », déclare-t-il dans un document de présentation réalisé par BamakoArtGallery (BAG) à l’occasion de «Ségou’Art 2021». Et de poursuivre, « le bogolan a eu un impact sur ma façon de travailler et surtout ma façon de voir les choses. C’est l’une de mes premières expériences artistiques. C’est un art que j’ai parfaitement maîtrisé un moment. Et comme c’était du bogolan traditionnel, on ne m’a pas appris à tricher avec les techniques et les matières ».

Aujourd’hui, a déploré l’artiste, « il y a beaucoup de tricherie avec le bogolan, surtout que l’effort n’est pas récompensé. Naturellement, tout est traditionnel dans le bogolan. Traditionnellement, le blanc ne s’obtient pas par exemple avec l’eau de Javel comme on le voit aujourd’hui ». Toujours est-il que « les techniques du bogolan m’ont beaucoup facilité la peinture ». Cette expérience artistique lui a permis de maîtriser et de raffermir les techniques de la peinture et à imposer son style.

Au prix de l’obstination- Natif de Ségou le 1er juillet 1977, Amadou Sanogo a poussé l’obstination jusqu’à se forger un destin autre que celui tracé par ses parents. « Après le Certificat d’études primaires, ma famille a voulu que j’étudie la comptabilité, mais au bout de deux ans, j’ai choisi de passer le concours de l’Institut national des arts (INA). Cela a été mal perçu, car dans ma famille et cela d’autant plus que pour mes parents, un noble comme moi n’avait pas le droit de pratiquer l’art destiné aux hommes de caste. Il n’y a que ma mère qui me soutenait, en m’envoyant en secret de la nourriture pendant mes études », a-t-il confié à la presse lors d’un de ses nombreux entretiens avec la presse française.

Très tôt fasciné par le dessin, Amadou Sanogo a été initié au bogolan (technique de teinture végétale et motifs d’argile sur coton) par son professeur à l’école fondamentale. Il a, par la suite, découvert la gouache, l’aquarelle, puis l’acrylique qu’il a choisi depuis 2005. Jusqu’en 2012, il a bénéficié du mécénat de Séiba Kéita, propriétaire d’un café fréquenté de la capitale. «Il me disait : je veux que tu peignes sans souci financier », se souvient l’artiste. En 2011, il est repéré par le célèbre galeriste d’art contemporain africain, le Français André Magnin. « Il y a eu un énorme changement dans ma vie grâce à lui. Il veut garder tout ce que je produis pour les montrer dans les grandes rencontres... Désormais, je vis à 100 % de la peinture et je peux faire vivre ma famille », assure l’atypique peintre heureux de vivre de son talent.

Proverbes bambara- « Humaniste et libre-penseur », comme l’écrit un critique à son propos, Amadou Sanogo se nourrit de la tradition qu’il utilise comme source de connaissances, de sagesse et d’inspiration. C’est ainsi qu’il a récemment fait une exposition (La Criée, Centre d'Art Contemporain à Rennes, France) avec des tableaux inspirés des proverbes bambara que l’artiste considère comme « essentiels à la compréhension de la culture malienne dans toute sa diversité ».
Ses œuvres drainent du monde dans ses expos à l’Institut français du Mali (IFM-Bamako) à l’Alliance franco-malienne de Mopti, à Paris, Rennes, Bordeaux, Londres, Bruxelles, Marrakech, Ouagadougou avec des thèmes atypiques comme «De Paroles en paraboles, on se sert», «Les points de l'individu», «L'homme du présent», «Le Reflet», «Le trait»…

L’an dernier (2020), ses toiles de grand format (une quinzaine) inspirées de proverbes du Mali avaient fait sensation en Europe, en France notamment, avec des animaux ou des silhouettes humaines qui se découpent sur des aplats de couleurs tendres ou vives, et racontent la politique, la vie en société, et la vie artistique. « Chacune de ses acryliques fait référence à un proverbe bambara... Le personnage, par sa posture, et certains détails comme les mains gantées, synonymes de violence, évoquent un adage : il est difficile de se battre contre soi-même ou la malédiction pousse la volaille à se transformer en vendeur de couteau », commente un critique d’art.

« Je suis né à Ségou, la capitale du royaume bambara où les proverbes n’ont plus de secrets. On vit et on dort avec. Lorsque je suis arrivé à Bamako pour étudier à l’Institut national des arts (INA), j’ai mesuré l’ampleur de la richesse de ces proverbes et j’ai choisi de travailler sur ce thème. » Cette quête d'originalité qu’il ne trouve plus de nos jours dans le bogolan, cette volonté de créer l’inséparable passerelle entre ses œuvres et les traditions de son terroir est au cœur de sa vision de l'art.
«Je me pose beaucoup de questions sur les paroles bambara, le système de fermeture social malien et même international qui sont des handicaps pour notre développement. Je me demande comment faire pour arrêter cette fermeture ?», explique Amadou Sanogo. Comme si l’art était aussi pour lui un moyen de s’accrocher à ses racines, de promouvoir les traditions socioculturelles et éducatives de son enfance pour ne pas perdre son âme !

Source : L'Essor

The website encountered an unexpected error. Please try again later.