Artisanat : La poterie résiste bien à la crise

Aujourd’hui, il y a un regain d’intérêt pour les œuvres d’art en terre cuite


Les potières et les femmes qui vivent du commerce de ces objets en terre cuite arrivent à joindre les deux bouts, malgré le contexte économique difficile.

Tous les observateurs s’accordent à admettre une évidence: depuis la crise sécuritaire enregistrée dans notre pays, en 2012, l’artisanat connaît un coup de mou. On n’a même pas besoin de sortir d’une grande fabrique de cadres pour comprendre toute la difficulté de ce secteur. Les artisans, dont le savoir-faire constitue une fierté nationale, vivent des jours difficiles du fait de l’absence des touristes. Or ceux-ci représentent une proportion importante de leur clientèle.

Les artisans, qui assistent impuissants à une baisse de leurs revenus, prient pour la relance des activités. Personne ne peut leur reprocher d’exprimer le vœu de voir l’artisanat repartir sur des bases encore meilleures qu’avant. Le secteur a besoin de retrouver un second souffle même si la situation n’est pas aussi désespérée qu’on pourrait le croire. Parce que le sous-secteur de la poterie arrive à se tirer d’affaire.

Les potiers continuent d’être présents dans notre quotidien à travers leurs productions qui ornent nos salles de conférences, nos salons de thé, nos bureaux, voire l’intérieur de nos maisons et autres édifices publics. Nonobstant la crise sécuritaire, les lieux de vente d’objets en terre cuite pour la décoration sont légion. Ils sont visibles dans les rues de Bamako, les marchés, sur les abords des grandes artères et au niveau des ronds-points de la ville. Cette activité semble survivre à la crise. Et les jeunes s’intéressent de plus en plus à la poterie qui devient pourvoyeuse d’emplois parce qu’elle apporte économiquement.
Daouda Keïta, archéologue et directeur du Musée national, explique que la poterie a existé au Soudan (le Mali d’antan), depuis le néolithique.

Maïni Camara, originaire de Siby, est vendeuse d’objets en terre cuite, notamment des jarres au marché de N’Tabacoro. Pour elle, la poterie est la plus noble activité qui puisse exister mais aussi l’une des plus anciennes. Dans le temps, elle était réservée dans notre pays aux seules femmes de la caste des forgerons. «C’est une pratique très ancienne qui a laissé ses marques dans toutes les familles maliennes», explique la quinquagénaire. Comme pour apporter la preuve de l’utilité de la poterie, la vendeuse indique que jusqu’à un passé récent, tous les ustensiles de cuisine étaient en terre cuite ou en bois dans nos compagnes.

«Je m’approvisionne chaque semaine auprès des potiers et j’arrive à écouler très rapidement. Mais, il y a un énorme risque lié au transport de ces objets. Lorsqu’ils se cassent, les pertes peuvent être considérables», explique Maïni Camara, avant de rappeler qu’elle évolue dans ce commerce depuis plus de 20 ans et emploie même deux personnes : un jeune garçon et sa propre fille. Elle arrive donc à joindre les deux bouts et à subvenir aux besoins de sa fille.

Tout comme elle, bien d’autres femmes exercent ce commerce et s’en sortent assez bien. L’Association des femmes pour la promotion des produits artisanaux a créé en 2008 un centre de poterie à Darsalam sur financement de partenaires espagnols. La présidente de l’Association, Mme Assitan Traoré, souligne que son centre a toujours fonctionné à plein régime même pendant l’hivernage où l’approvisionnement en matière première devient un peu délicat. « Nous utilisons de l’argile qui nous provient des rives du fleuve Djoliba aux environs de Kabala. Le chargement d’une benne de 7 m 3 est cédé à 120.000 Fcfa et pendant l’hivernage, les choses se compliquent, explique la potière.

Après notre installation, nous avons commencé à produire des objets avec une finition exceptionnelle parce que nous disposons d’un outillage moderne. Malgré les années de crise on a continué à produire des pots de fleurs, des canaris et autres objets de décoration », témoigne la responsable de l’association qui évoque aussi des difficultés liées au transport des objets, notamment leur acheminement sur les sites de vente. A ce niveau, explique-t-elle, on peut enregistrer des pertes importantes.

La quinquagénaire, Mme Awa Keïta, indique avoir 25 ans de vécu dans la poterie. Installée la capitale à quelques encablures du rond-point de Daoudabougou, elle explique vivre de son commerce d’objets en terre cuite. «Nos objets proviennent majoritairement de Kalabougou dans la Région de Ségou, précisément d’un centre de conception et de fabrication des produits argileux. «Nous faisons l’expression des besoins et la commande est livrée dans les meilleurs délais. Je travaille avec ma progéniture (deux garçons). Ce que nous gagnons leur permet de vivre décemment».

Nos compatriotes apprécient les objets en argile, destinés à la décoration. De plus en plus, ces objets sont faits avec des designs attractifs. La délicatesse du transport de ces objets en terre cuite influe sur les prix parfois fixés en fonction des pertes enregistrées pour compenser. Ce qui explique que certains objets sont hors de portée de la bourse du Malien moyen.
La décoratrice Oumou Diallo relève qu’avant les objets fabriqués en terre cuite étaient généralement utilisés dans les villages et dans certaines familles conservatrices. Mais avec les améliorations apportées dans la conception et la réalisation, il y a eu un regain d’intérêt pour ces œuvres d’art en terre cuite. La production locale n’a rien à envier à celle d’autres pays.

Quant à Mariama Sanogo, secrétaire dans une banque de la place, elle explique être venue acheter un pot pour décorer la salle de réunion de son institution bancaire. Pour elle, il est difficile de vivre aujourd’hui sans ces objets qui font partie de nos us et coutumes. Les gens se servent des encensoirs «Woussoulan daga» pour bien parfumer leurs maisons avec de l’encens.

Ces dernières décennies, la poterie a connu une ère nouvelle avec une touche de modernisation. Les œuvres en terre cuite sont plus stylées et diversifiées. Nos potiers n’entendent pas rater le train du progrès. Ils ont modernisé leurs productions (jarres, écumoires, vases d’ornement et encensoirs). Ces objets sont pratiquement devenus indispensables pour la femme malienne. Il est aussi fréquent dans notre société de mettre ces objets dans le trousseau de mariage.

Amadou SOW

Source L'Essor

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